#CULTURE

C’EST L’HOMME QUI A PEUR, SINON IL N’Y A RIEN

Dans un entretien qu’il a accordé à un journal espagnol, le leader du Super-Etoile Youssou Ndour s’est livré sans détour. Une occasion pour le chanteur d’échanger longuement sur sa riche carrière, ses prix et la musique. Mais aussi d’aborder des questions de l’heure comme l’immigration clandestine, le tourisme, le développement de l’Afrique, entre autres…

Ayant grandi au Nigeria, je sais que l’Afrique est un continent complexe et divisé. Pourquoi pensez-vous que votre musique touche et connecte autant de personnes à travers l’Afrique et le monde ?
Merci pour cette question. Comme j’ai eu à le chanter dans mon album «Eyes Open» que j’ai sorti en 1992, à travers un morceau que j’avais composé « The Same », dont voici un des couplets : «Sound is the same for all the world. Everybody has a heart. Everybody gets a feeling. Let’s play Rock, Reggae, Jazz, Mbalax. All around the world, the same. Pachanga, Soul music, Rhythm and Blues, the same. Samba, Rumba, Cha-cha-cha, the same.», mon inspiration vient de mon désir profond de partager les histoires et émotions communes. Vous savez, la musique a un pouvoir unique de transcender les frontières et de toucher les âmes. Quand on est musicien, on parle un langage universel qui surmonte les divisions et qui a la capacité de rassembler les gens, de leur rappeler notre humanité commune et de promouvoir la compréhension et la solidarité. La musique, c’est une mélodie et une parole qui peut parler d’amour, d’amitié, de paix et de sujets qui nous interpellent tous comme, l’environnement, l’immigration. Des sujets que nous vivons tous au quotidien et c’est pourquoi je pense qu’on s’identifie aux rythmes, aux mélodies et qu’on aime aussi les paroles. Aussi, tout au long de ma carrière, je me suis toujours ouvert aux cultures du monde, tout en y mettant l’empreinte africaine. C’est cette fusion de l’Afrique qui rencontre le monde qui plaît aussi ! Maintenant, après ma tournée mondiale avec Peter Gabriel, mon engagement pour les droits de l’homme avec la tournée d’Amnesty International en 1988 et la sortie de 7 Seconds, beaucoup de gens se sont davantage intéressés à ma carrière et mon implication dans la création. 

Venez-vous d’une famille de musiciens ? Quelle a été votre source d’inspiration durant votre enfance ?
Je viens plutôt d’une famille griotte du côté de ma mère. Et en Afrique, les griots sont les gardiens de nos traditions qui sont fortement orales. Celle qui m’a le plus initié est ma grand-mère maternelle Mame Marie Sène (à qui je rends hommage avec la chanson Yakaar). Elle était une grande cantatrice traditionnelle. Ses performances étaient très appréciées dans les cérémonies familiales et sociales. Elle m’a beaucoup inspiré et donné les bases du chant. 

Quelle est votre inspiration en tant qu’auteur-compositeur ?
Mon environnement est ma principale source d’inspiration. Tout me parle ! La société autour de moi que je regarde et dans laquelle mes pensées plongent pour lire son évolution, ses défis, ses bons côtés, comme aussi les moins bien. Chaque jour, les gens que je rencontre, les regards que je croise, les histoires que j’entends et les événements qui se déroulent autour de moi, tout m’inspire. C’est un état naturel qui, comme l’air, est en moi et autour de moi. Les traditions culturelles et les histoires de notre continent, l’influence de ma propre vie, de mes expériences et de mes voyages à travers le monde, jouent également un rôle crucial dans mon processus créatif.

Quel est le musicien qui a le plus influencé votre carrière ?
Ah ça, sans hésiter, c’est Peter (Gabriel). Non seulement, il m’a invité à chanter avec lui sur scène, mais il m’a également montré un respect et une considération extraordinaire durant toutes nos collaborations, tant sur scène qu’en dehors, Peter a toujours eu un intérêt profond pour les musiques du monde et lorsqu’il m’a invité à participer à son album «So» en 1986 et à la tournée « Human Rights Now », organisée par Amnesty International en 1988, j’étais certes célèbre au Sénégal et en Afrique, mais cela a donné une autre dimension à ma carrière. Peter Gabriel m’a toujours encouragé à rester fidèle à mes racines, tout en explorant de nouveaux horizons musicaux. J’en profite pour lui rendre un vibrant hommage car au-delà d’être mon ami, sa vision artistique et son engagement pour la musique et les droits humains ont profondément influencé la musique. 

Qu’espérez-vous transmettre et communiquer avec votre musique ?
Comme je l’ai dit, il y a quelques semaines à l’université Berklee de Valence, je chante l’amour dans toute sa plénitude. L’amour de soi, l’amour de son prochain dans nos différences, l’amour de la nature et l’amour envers notre Créateur. 

En tant qu’ancien ministre du Tourisme, que pensez-vous du mouvement anti-tourisme en Europe, en particulier à Majorque, alors que le tourisme est une source de revenus de plus en plus importante pour l’Afrique ? 
Je ne vois pas forcément les choses sous cet angle. A travers le nom du mouvement Anti Tourisme en Europe, je sens un cri du cœur. Maintenant, je ne parlerai pas d’idéologie, mais j’invite le monde à s’intéresser au pourquoi de ce cri de cœur, pour interdire le tourisme dans un endroit qui, certainement avant, souhaitait en avoir et qui maintenant n’en veut plus. Le tourisme est certes une activité hautement économique, mais cela doit être une occasion de développer nos territoires et cultiver le brassage culturel dans le respect des patrimoines culturels, sociaux et environnementaux. Pour moi, il ne faut pas lier l’éventuel développement Africain avec l’abandon du tourisme en Europe. D’ailleurs pourquoi devrons nous accepter ce que d’autres rejettent, si c’est basé sur des arguments plausibles ?

En tant qu’ancien candidat à la présidence, comment auriez-vous changé le Sénégal ?
Je ne crois pas aux hommes providentiels. Pour moi, un leader doit avoir une vision partagée et soutenue par la population pour que le développement soit atteignable. Sans cohésion, point d’amélioration. Je le disais dans une de mes chansons, «Sama Dom» (Mon cher Enfant). J’y disais littéralement ceci : « si 10 personnes creusent un puits et que 10 personnes s’emploient à le recouvrir, malgré tous les efforts possibles, il ne peut y avoir que de la poussière, mais point de puits». 

La corruption est-elle le moteur de l’immigration clandestine vers l’ouest ? Existe-t-il une solution ?
L’immigration clandestine ne peut se résoudre à un seul fait de corruption. Et surtout, je réfute cette pensée car, c’est comme si nous n’avons que des dirigeants corrompus. L’immigration clandestine est aussi le fruit des rapports mondiaux inégaux, de l’égoïsme des pays pollueurs de la planète, de ces pays, multinationales et organismes qui pillent nos ressources pour des miettes en retour. Quand je vois les pays dits occidentaux avoir la possibilité de s’endetter pour se développer et qu’on le refuse avec des arguments fantaisistes, je me dis que l’immigration clandestine a de beaux jours avec ce genre d’approche dans les relations entre les pays. Maintenant, il faut davantage d’efforts «de ces pays» et organismes bailleurs de fonds pour inciter, favoriser et encourager la formation, l’enseignement et la création d’emplois en Afrique 

Que ressentez-vous lorsque vous voyez vos compatriotes et leurs enfants mourir en essayant d’atteindre l’Europe ?
Je suis meurtri dans ma chair. Je le dis et le répète partout, l’avenir c’est l’Afrique. Et je donne souvent aux jeunes l’exemple de ma vie. Je suis né, j’ai grandi, je vis et je me suis fait en Afrique. Je n’ai vraiment pas les mots pour matérialiser assez, tout ce que je ressens en voyant ces images. C’est très dur. 

Pensez-vous que l’Occident continue à perturber délibérément l’Afrique pour ses propres intérêts ?
Vous savez, il ne faut pas se leurrer, les Etats défendent leurs intérêts et n’ont pas forcément d’amis. C’est à nous de défendre aussi les nôtres pour le bien de nos peuples. Et comme j’ai eu à le chanter, il y a une nouvelle Afrique «New Africa», avec des jeunes hommes et femmes qui entendent faire plus que leurs parents et qui n’accepteront plus le diktat de qui que ce soit. La nouvelle Afrique que j’ai tant chantée est arrivée, et la jeunesse d’Afrique est conquérante. 

Est-il temps de présenter des excuses sérieuses et appropriées pour l’esclavage ?
Il ne s’agit pas de présenter des excuses car aucune excuse n’est suffisante pour panser ce crime contre l’humanité. On veut nous endormir sur des concepts de pardon. Je vous dis ceci : les noirs du monde ne sont ni revanchards ni rancuniers. Dans notre diversité, nous cherchons davantage à nous retrouver d’Afrique aux Antilles, des États-Unis à Saint-Louis du Sénégal. 

Vous avez remporté de nombreux prix et chanté avec les plus grands artistes internationaux. Vous devez être fier ?
Je suis extrêmement fier de chaque prix qui m’a été dédié et chaque artiste avec qui j’ai eu à partager la scène, une séance de studio ou même faire un featuring. Je ne fais pas de préférences parmi les prix. Tout est important et je profite de cette occasion pour réitérer mon amour indéfectible à tous mes fans du monde et mes remerciements à chaque organisation, institution, société et groupe de personnes qui m’ont consacré un prix ou hommage depuis le début de ma carrière.   

En tant que l’un des artistes africains les plus influents de l’histoire et l’un des plus grands chanteurs de tous les temps, quel est votre message au monde ?
L’amour et le respect mutuel pour les uns et les autres. Avoir de la considération pour l’être humain et la nature. Je pense que nos diversités doivent servir comme des richesses et pas comme une arme de division. 

Quelle est, selon vous, la plus grande menace qui atteint le monde actuellement ? 
L’égoïsme des gens est une menace pour l’humanité.

Qu’est-ce que le public peut attendre de votre concert à Majorque ?
La beauté de la musique africaine et un Youssou Ndour et un Super Etoile de feu !

Quel est votre plat préféré ?
Le Thieb (riz au poisson) de ma mère.

Film préféré ?
Amazing Grâce (rires), dans lequel j’ai d’ailleurs joué.

Livre préféré ?
L’Art de la niaque. 

Votre boisson préférée ?
Le thé à la menthe. Ce qu’on appelle ici Ataya.

Votre pays préféré où vous aimeriez vivre ?
Le Sénégal. 

Enfant, vous rêviez de faire carrière dans quoi ?
Le football.

Le meilleur conseil que l’on vous a donné ?
Toujours persévérer.  

La première chose que vous faites le matin ?
Je remercie Dieu de me donner une journée de plus et pour la vie qu’Il m’a donnée. 

De quoi avez-vous peur ? 
Pourquoi avoir peur ? Un adage de la Côte d’Ivoire dit que, «c’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a riennnn !»

Musique ou musicien préféré ?
Le Mbalakh bien sûr…

Source : seneplus

†

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *